À l’occasion du tournage des trois cours de céramique de Brune Somogyi, de l’Atelier Terre Brune, disponibles dès aujourd’hui, le 29 mars, sur Artesane.com, je suis allé poser quelques questions à notre professeure sur son art. Ses réponses passionnées et passionnantes m’ont tellement saisi que j’ai souhaité vous livrer les paroles de Brune sous la forme d’une retranscription. Si votre intérêt n’a pas encore été piqué par le travail de la terre, il y a de grande chance pour que cet article y remédie !
La terre, un matériau fascinant
« Je travaille principalement au tournage, mais il m’arrive aussi de travailler les modes de façonnage et de modelage pour réaliser des objets qui sont généralement en grès, et parfois en porcelaine. Ce sont mes deux terres de prédilection, car ce sont des terres de haute température, contrairement à d’autres terres comme la faïence, qui est plus fragile et cuit donc à des températures plus faibles. On évite donc souvent de mélanger les deux pour éviter tout accident de cuisson qui pourrait être problématique.
Gérer un atelier qui fait à la fois des cuissons hautes et basses températures est donc difficile, c’est pourquoi j’ai choisi de travailler la haute température : c’est ce que j’ai appris et que je connais le mieux, mais c’est aussi une terre plus exigeante, qui a plus de structure, plus de corps. On a donc un rapport plus matériel lorsqu’on la tourne, un contact moins mou, plus ferme qui me plait beaucoup.
J’ai fait beaucoup de sculpture sur pierre avant la céramique, donc j’aime bien ce côté un peu consistant de la matière. On retrouve ça avec le grès car les particules sont un peu plus grosses, ce qui donne quelque chose de plus résistant. En plus, avec les émaux de haute température, on rentre dans un domaine génial de création, de chimie : c’est la porte ouverte à des tonnes de recherches et de découvertes, de couleurs… ça me passionne beaucoup. »
Le cylindre, une forme de base du tournage
« Les deux grande formes de base sont le bol et le cylindre. On peut éventuellement leur ajouter les assiettes, bien que je les travaille à partir du principe du cylindre. Le cylindre ouvre à toutes les formes (y compris les grandes formes), à part les bols qui sont un peu particuliers. Cette exigence du cylindre, devoir aller chercher la terre, la faire monter, avoir des parois de belle qualité, c’est-à-dire tout ce que j’essaie de faire passer à travers le cours consacré à cette forme, permet ensuite de tirer sa céramique vers quelque chose d’intéressant, de plus aérien, maîtrisé, et ouvre beaucoup de perspectives ensuite.
Commencer par une maîtrise technique de la matière, arriver à la contrôler, la façonner, permet d’ouvrir toutes les possibilités. On a tendance à oublier ce travail-là, et avoir des formes qui restent un peu lourdes, ou très simplistes, voire mal maîtrisées. Il y a donc une recherche à faire de la part de beaucoup de grands céramistes, pour aller chercher plus loin la matière et les possibilités.
On peut aller chercher des formes assez complexes à partir d’un cylindre bien formé, notamment en tournage. On voit parfois des choses assez magiques faites par des tourneurs en vidéo, qui, à partir d’une pression de doigt, font de la terre exactement ce qu’ils veulent. En réalité, c’est parce qu’elle est tirée et façonnée comme il faut, et ouvre toutes les perspectives de la créativité.
On a donc ce rapport à la discipline qui est l’idée d’une maîtrise technique qui amène à une grande liberté dans la réalisation. J’aime beaucoup travailler des éléments un peu désaxés, ce qui ne m’empêche pas de maîtriser cette technique. Le but du jeu est d’avoir une pièce bien façonnée, que l’on peut décaler, déplacer… J’aime beaucoup travailler ça, même pendant le tournage. »
Les limites du tournage
« Le tournage oblige à rester sur des éléments globalement ronds, même si les tourneurs s’amusent à déformer leur créations assez rapidement. On dit qu’on passe des années à apprendre à tourner rond, et que dès qu’on y arrive, on essaye de tourner pas rond. C’est amusant de créer des choses qui paraissent faites n’importe comment. On le voit dans la céramique de nombreux pays, et notamment dans la céramique japonaise : la recherche de la déformation, du déséquilibre, de l’accident loin de la perfection parfaitement ronde, c’est assez intéressant. Avec ces terres-là et le modelage, on peut faire à peu près toutes les formes.
Ce qui est aussi intéressant, c’est le rapport à l’utilitaire. Souvent, cette céramique sert à fabriquer des objets qui servent, mais on l’utilise de plus en plus pour faire des objets artistiques et créatifs. Je pense qu’on a rarement vu autant de céramique dans l’art contemporain qu’à l’heure actuelle. C’est très en vogue, très poussé, et on peut partir sur des choses très amusantes, décalées, et complètement en dehors de l’assiette, du bol, du vase ou de la théière.
L’attrait pour la céramique
« Ce qui m’a tout de suite beaucoup plu, c’est le tour. C’est fascinant, hypnotique. Les heures défilent quand on est assis derrière. On peut rester deux, quatre, six heures sans se rendre compte du temps qui passe. Il y a aussi l’aspect de la matière, la barbotine, qui peut évoquer le film Ghost ou ce genre de choses. Dès qu’on imagine le tournage, on voit cette matière particulière. C’est une matière très sensuelle et douce, mais qui n’est pas molle, qui a une résistance, une force liée à la giration.
Le tour peut vite tourner à l’épreuve de force, donc à un rapport physique avec la matière. C’est une activité que je considère quasiment sportive. On ne tourne pas juste avec les doigts, c’est une implication de tout le corps. C’est ce que je trouve merveilleux. Un céramiste connu disait :
“La céramique est le seul domaine où on arrive à combler les trois grands désirs de l’homme : l’activité physique, une activité intellectuelle, presque mathématique, et le désir de création.”
La plupart des céramistes passionnés disent qu’on ne s’ennuie jamais en céramique. Il y a peu d’activités dont on peut dire ça. On peut y passer deux, quatre vies, il y a toujours quelque chose d’autre à faire, une autre manière de le faire, un autre domaine à explorer. »
L’art le plus ancien et le plus moderne à la fois
« Il y a des personnes qui amènent plein de chose en céramique : du cuir, du tissu trempé dans la céramique et ensuite cuit… c’est incroyable. À partir d’un peu de terre, on touche à tous les domaines. On est aux sources de l’humanité. Mettez n’importe quel gamin devant un bout de terre, et il va le triturer comme un fou. Les premiers hommes ont commencé comme ça.
Et, en même temps, on est dans quelque chose de tellement actuel, qui est même de la haute technologie ! On fait de la céramique pour les fusées, pour les couteaux de cuisine… C’est à la fois ce qu’il y a de plus ancien et de plus basique, et ce qu’il y a de plus technique et de plus technologique. C’est un matériau incroyable. »
À bientôt chez Artesane !
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