Auparavant grande consommatrice de vêtements de première main, j’ai commencé à questionner mes habitudes d’achats lorsque j’ai découvert que l’industrie vestimentaire était la deuxième industrie la plus polluante du monde. Plus je m’informais sur le sujet, plus je voulais modifier ma manière de m’habiller… sans parvenir à répondre à cette question : par où commencer en tant que “simple” consommateur individuel ?
Aujourd’hui, la clé me semble se trouver dans l’idée de “consommer moins, consommer mieux” : allier une diminution des quantités achetées à une amélioration de leur qualité.
Derrière les prix de la fast-fashion
En vendant leurs produits pour des sommes dérisoires depuis des années, les marques de fast-fashion ont réussi à nous faire oublier la valeur réelle des choses. Elles ont normalisé le fait d’acheter un tee-shirt au prix d’un café, diminuant drastiquement nos prix de référence, donc le montant que nous sommes prêts à investir dans un vêtement. Ce nouveau standard nous pousse à consommer des produits mal coupés, montés dans un tissu fragile qui se déforme au bout de deux lavages, avec des finitions peu précises et peu résistantes.
© Hans sur Pixabay
Par ailleurs, l’exploitation des travailleurs et de l’environnement par les marques de fast-fashion est pointée du doigt depuis plusieurs années. Vous avez sûrement plusieurs exemples en tête, je ne vais donc rappeler que quelques uns de leurs méfaits :
-
- Délocalisation massive de la production dans des pays d’Asie du Sud-Est : 70% des vêtements vendus en France y sont produits car le droit du travail y est très laxiste, voire inexistant : semaines de 75 heures, fenêtres grillagées, ouvriers sous-payés… Au Bangladesh, par exemple, le salaire s’élève à 0,32 dollars de l’heure.
- Utilisation de matières premières polluantes, notamment le polyester, qui émet trois fois plus de CO2 que le coton au cours de son cycle de vie.
- Utilisation de pesticides pour augmenter les rendements des champs et utilisation de teintures chimiques qui viennent polluer l’eau : on estime que les teintures chimiques du secteur textile sont responsables de 20% de la pollution des eaux dans le monde, ce qui a des effets néfastes à la fois sur la santé et sur l’environnement.
- Surproduction de vêtements : 100 milliards de nouveaux vêtements sont produits par an, soit 400% de plus qu’il y a 20 ans.
La question du besoin
Au-delà des enjeux de prix, la fast-fashion modifie nos habitudes de consommation en créant du besoin. Elle nous incite à croire que nous avons constamment besoin de nouveaux produits, de nouvelles couleurs, de nouvelles coupes, de nouvelles matières pour remplir notre garde-robe. Leur marketing agressif a permis aux grandes marques de modifier le rythme de la mode, traditionnellement portée par deux collections par an, pour proposer jusqu’à 24 collections par an. Ce renouvellement constant provoque des comportements d’achats compulsifs et le sentiment persistant de n’avoir “rien à se mettre”.
Ainsi, les deux tiers des vêtements de notre placard n’ont pas été portés au cours de la dernière année. Comme quoi, la diversité ne fait pas tout : même face à une large palette de choix, nous ne portons finalement que les pièces qui nous plaisent le plus, qui nous vont le mieux… En somme, celles dans lesquelles on se sent bien. Mais alors, pourquoi ne pas miser sur un nombre plus restreints de belles pièces, bien coupées, adaptées à sa morphologie et qui tiendront à l’épreuve du temps ?
© Ron Lach sur Pexels
La mode éthique, c’est cher ?
La grande question qui se pose à l’évocation de la mode éthique est celle de son prix. En effet, tout le monde n’a pas les moyens de payer des vêtements à un prix trop élevé et il n’est pas question de culpabiliser qui que ce soit. Cependant, je voulais vous partager un calcul qui me semble assez pertinent : celui du coût d’utilisation. Plutôt que de se baser seulement sur le prix d’achat, on divise ce dernier par le nombre de fois où le vêtement est porté pour obtenir son coût d’utilisation :
→ Prix du vêtement / nombre d’utilisation = coût par port. On obtient alors des résultats parlants :
- En moyenne, un vêtement de fast-fashion est porté 1,7 fois. Ainsi, s’il s’agit d’un pull acheté 20 euros : 20 euros / 1,7 = 11,75 euros
- En parallèle, un pull de 120 euros acheté chez une marque éthique est mieux coupé, plus chaud, plus confortable et mettra bien plus longtemps à s’abîmer : aucun doute, vous risquez de le porter bien plus. Admettons qu’il sera utilisé 30 fois : 120 euros / 30 = 4 euros
-
-
Le pull éthique revient presque trois fois moins cher que celui de fast-fashion en termes de coût par port. Si, en plus, nous diminuons la quantité de nos achats, en achetant par exemple deux beaux pulls plutôt que six pulls de mauvaise qualité, une garde-robe éthique devient bien plus économique qu’un placard rempli de fast-fashion !
Le coût d’une production responsable
Pour mieux comprendre le fonctionnement des marques éthiques, j’ai voulu me pencher d’un peu plus près sur les coûts de production auxquels elles font face. Je n’en avais qu’une vague idée, surtout centrée sur la question des salaires et le prix des matières premières, mais je n’avais jamais pris la mesure de tous les défis à relever pour une fabrication raisonnée.
1) Les matières premières
Aucun type de matière première n’est parfaitement “propre” : qu’elle soit naturelle (coton, lin, laine…), synthétique (polyester, Nylon…) ou artificielle (viscose, bambou), chaque fibre présente des avantages et des inconvénients au niveau social et environnemental – nous y reviendrons dans un prochain article sur le sujet.
Les marques éthiques se tournent donc souvent vers des matières biologiques ou recyclées : laine issue de moutons élevés de manière durable, polyester recyclé à partir de bouteilles en plastique… ce qui représente un coût considérable : un coton certifié par le label environnemental, éthique et sanitaire GOTS (Global Organic Textil Standard) peut coûter deux fois plus cher qu’un coton conventionnel.
© Michaela sur Pixabay
2) La commande de fournitures en petites quantités
Les marques éthiques étant moins connues et moins accessibles, leur nombre de clients est relativement peu élevé. Elles sont donc contraintes de commander leurs fournitures (tissus et merceries) en petites quantités aux usines de fabrication, ce qui leur empêche de bénéficier de prix dégressifs, donc d’économies d’échelles. Cette commande en petites quantités est également motivée par la volonté de ne pas surconsommer pour éviter le gaspillage.
En plus de payer un prix plus élevé que de plus grandes marques, elles passent régulièrement en second plan chez leurs fournisseurs, qui privilégient de plus grosses commandes. Cette situation rend les prévisions de production difficiles et peut occasionner des retards de livraison aux clients.
3) La phase de fabrication
Durant la phase de fabrication du vêtement, les marques éthiques peuvent mettre en place différentes mesures :
– L’utilisation de teinture végétale plutôt que des teintures chimiques.
– L’utilisation d’énergie renouvelable tout au long du processus permet de réduire l’empreinte carbone de la fabrication d’un vêtement.
4) Les salaires
Pour respecter les droits sociaux des différents acteurs de la chaîne, les entreprises de vêtements éthiques relocalisent leur production dans des pays européens qui imposent un salaire minimum décent et des conditions de travail acceptables. Le coût du travail est donc (bien) plus élevé pour elles que pour les entreprises de fast-fashion.
Cette promiscuité de la production permet également de diminuer le trajet parcouru par le vêtement durant sa confection, donc son empreinte carbone. C’est en effet une question cruciale : du début de sa livraison à sa production, un jean parcourt en moyenne 65 000 kilomètres. C’est l’équivalent d’une fois et demie le tour de la Terre.
5) La livraison aux clients
Deux critères principaux sont à prendre en compte pour l’étape de livraison :
– L’emballage du produit doit être réalisé de manière écologique, en utilisant par exemple des matériaux biodégradables ou recyclés, plus chers que de simples sacs en plastique ou en carton.
– Le transport du produit jusqu’au consommateur doit également être optimisé pour minimiser les émissions de gaz à effet de serre.
6) Les frais divers
À ces coûts de fabrication s’ajoutent les frais de marketing et de communication, les frais bancaires, les droits d’auteur, mais également un coût indirect lié au temps accordé à la conception d’un beau vêtement : création de prototypes, tests de qualité, recherche des matières…
Face à ces coûts conséquents et pour ne pas proposer au prix trop éloigné de nos prix de références liés à la fast fashion, les marques éthiques réduisent considérablement leur marge : elle correspond seulement à 2 fois le prix de revient d’un vêtement, c’est-à-dire son coût total de production, contre 9 fois le prix de revient en moyenne chez les marques de fast-fashion… Et ce chiffre peut même monter jusqu’à 30 chez certaines marques “haut-de-gamme”.
En somme, pendant les soldes et toute l’année : posez-vous la question de vos besoins, achetez éthique dans la mesure du possible ou – ma solution préférée – cousez vos vêtements !
Pour aller plus loin…
Podcast Chaleur humaine : « Comment s’habiller sans détruire le climat et la biodiversité ? »
Livre : Majdouline Sbai, Une mode éthique est-elle possible ?, Rue de l’échiquier, 2018.
0 commentaires