Laissez-moi vous raconter… le kimono à l’époque Edo

Histoire de la mode, Histoire de vêtements | 4 commentaires

Le musée du Quai Branly propose actuellement – et jusqu’au 28 mai 2023 – une exposition sur le kimono. En la découvrant, je me suis rendu compte que j’ignorais presque tout de son histoire, de ses particularités et de sa symbolique : il existe peu d’articles sur le sujet sur Internet. Après avoir arpenté les couloirs de l’exposition et dévoré son catalogue, je vous partage donc quelques clés pour mieux comprendre l’histoire et la symbolique du kimono !

Les origines du kimono

Le kimono est apparu au Japon autour du VIIe siècle, alors que le pays était sous influence chinoise. Il porte alors le nom de kosode, qui signifie “petites manches” en japonais, en référence à l’étroite ouverture de celles-ci, tout juste assez larges pour passer les bras. Pendant plusieurs siècles, il s’agit seulement d’un sous-vêtement porté avec une longue veste, un pantalon ou une jupe longue pour aller au temple ou aux champs.

C’est au XIIe siècle que le terme kimono apparaît pour la première fois : il est utilisé comme terme générique, avec un sens similaire à celui de “vêtement”. L’usage du mot kimono se répand ensuite à l’époque Edo, d’abord comme synonyme puis en remplacement du mot kosode.

Cette période, qui s’étend de 1603 à 1868, est la plus marquante de l’histoire du kimono. Elle tient son nom de la ville d’Edo, actuelle Tokyo, qui devient la capitale et le centre politique du pays au début du XVIIe siècle.

Elle marque la consécration du kimono comme habit traditionnel japonais, porté par les hommes et les femmes de tous âges et de toutes conditions sociales. Le kimono est alors un moyen d’affirmer sa condition sociale, d’exposer sa richesse et de montrer son bon goût.

estampe d'une rue d'Edo au 19e siècle

© Victoria and Albert Museum, Londres

Par ailleurs, il est bon de savoir qu’il existe plusieurs types de kimonos, caractérisés par leur usage ou leur matière. Pour n’en citer que quelques-uns :

  • le uchikake : un kimono en soie, doublé, porté dans des contextes formels et particulièrement en hiver
  • le hitoe : un kimono en soie, non doublé, porté en été
  • le yukata : un kimono en coton et servant, porté de manière informelle en été

La forme du kimono

Le kimono est un vêtement structurellement simple, dont le patron est en forme de T. Il est confectionné à partir de morceaux de tissus exclusivement rectangulaires, coupés dans une seule pièce d’étoffe en lignes droites. À droite et à gauche, deux rectangles de tissus tombent le long du corps, des épaules à l’ourlet. Ils sont reliés par une couture centrale dans le dos. Des manches, également découpées en rectangles, sont ensuite ajoutées sur les côtés. Le col, ainsi que les deux pièces de tissu situées de part et d’autre de l’ouverture sur l’avant, sont formées par des rectangles plus étroits.

Une ceinture, appelée obi, retient l’ensemble du vêtement, dont le côté gauche est rabattu sur le côté droit. La plupart du temps, plusieurs kimonos sont superposés les uns sur les autres : certaines courtisanes pouvaient arborer plus de cinq kimonos en couches superposées, réunis par une large ceinture colorée nouée sur l’avant.

schéma de la construction d'un kimono
estampe de deux femmes portant des kimonos multicolores

© Victoria and Albert Museum, Londres

Contrairement au vêtement occidental de l’époque, le kimono est un vêtement structurellement plat, coupé en lignes droites, sans pinces. La conception du vêtement est ainsi révélatrice d’une différence de rapport au corps.

En Occident, le vêtement a pour objectif de mettre en valeur le corps en soulignant ses formes à l’aide de techniques de couture structurantes. Dans la société japonaise, la forme du corps n’a pas d’importance et le vêtement est pensé comme un simple support de motifs décoratifs : ce sont les tissus, les couleurs et les motifs qui expriment le genre, la richesse et le goût de leur porteur. Le fond compte donc bien davantage que la forme, qui a très peu changé au cours des siècles.

Le kimono et la symbolique des motifs

Deux types de dessins sont omniprésents dans les kimonos japonais : les motifs végétaux et les motifs animaliers. Les premiers sont intimement liés aux saisons et varient donc d’un kimono à l’autre en fonction de la période de l’année. Ainsi, les ensembles de pins, les bambous et les pruniers sont qualifiés de « Trois amis de l’hiver ». Par ailleurs, chaque végétal a sa signification propre : 

  • Le bambou est un symbole de la force de l’Homme face aux difficultés de la vie. Mais représenté avec des tigres ou des moineaux, il représente le bonheur.
  • Le pin est une figure de longévité.
  • La fleur de prunier évoque la santé, la beauté et la grâce. 

La symbolique des motifs animaliers, elle, est évidemment liée aux caractéristiques de l’animal représenté : ainsi, l’aigle symbolise la force et la tortue, la longévité. D’autres animaux vont, eux, être liés à des points d’étape dans la vie des Japonais ou à un statut particulier : par exemple, la grue étant symbole de chance, elle est particulièrement représentée sur les kimonos de mariage ou au Nouvel-An. Le papillon, lui, est surtout utilisé sur les kimonos de mariage car il symbolise l’harmonie du couple. Enfin, le faucon est le symbole associé au samouraï.

estampe de femmes en kimono richement ornés

© Victoria and Albert Museum, Londres

Les motifs récurrents des kimonos de l’époque Edo

La période Edo est marquée par l’essor des voyages : les vêtements se couvrent alors de représentations détaillées de paysages, souvent inspirées de sites célèbres ou de poèmes. Des scènes de la vie quotidienne sont également peintes sur les tissus, où se répartissent des motifs variés : éventails, chapeaux, instruments de musique… Ils s’inspirent régulièrement d’œuvres de la littérature classique japonaise ou de pièces de théâtre, qui permettent d’afficher l’intelligence littéraire de son propriétaire.

La calligraphie est également utilisée dans cette optique, avec, en général, des inscriptions au niveau des épaules pour faciliter leur lecture. La période est donc marquée par un goût pour le spectaculaire, avec des motifs très voyants et des couleurs vives. Justement : d’où proviennent ces couleurs ?

estampe d'un kimono calligraphié

© Watson Library Special Collections

Le kimono et la couleur

Les colorants utilisés pour peindre les tissus ou teinter les fils sont faits  principalement à partir d’extraits de végétaux, mais des pigments d’origine minérale peuvent également être utilisés occasionnellement. Chaque teinturier conserve précieusement les secrets de fabrication de ses nuances de couleurs.

Comme les motifs, chaque couleur a sa propre signification sociale :

  • Le rouge est la couleur la plus noble car c’est une teinture qui coûte cher. Par exemple, la couleur rouge orangée est obtenue grâce à la fleur de carthame: il fallait douze kilos de pétales et plusieurs heures de préparation pour embellir un vêtement entier. Symbole de jeunesse et de séduction, le rouge est particulièrement populaire chez les jeunes femmes non mariées. En revanche, il est totalement inapproprié et de mauvais goût pour une femme âgée de le porter.
  • Le bleu, moins cher, est davantage présent dans les classes sociales inférieures. On dit également que le bleu indigo aurait des vertus médicinales.
  • Le blanc, le rouge et le noir, symboles de bonheur et de chance, sont les trois couleurs portées lors des cérémonies de mariage.

Si les couleurs chatoyantes sont à la mode tout au long de l’époque Edo, les codes de l’élégance changent radicalement à la fin de la période, qui leur préfère des nuances de gris.

photo d'un kimono rouge

© Victoria and Albert Museum, Londres

Le kimono comme symbole de la hiérarchie sociale

Bien que l’ensemble de la population porte le kimono, le système vestimentaire japonais est loin d’être égalitaire durant l’ère Edo. En effet, les samouraï, qui constituent la classe dirigeante, tiraient autrefois leur renommé et leur statut de leurs victoires militaires. Or, puisque le pays est en paix, il leur faut trouver une autre manière de s’imposer… qui n’est autre que le vêtement ! L’apparence devient extrêmement importante et les kimonos de plus en plus somptueux. Au quotidien, les samouraï portent donc des vêtements aux épaules larges pour mettre en valeur leur force. Pour les cérémonies et les événements formels, ils s’inspirent des couleurs et des motifs des vêtements de la cour impériale.

photo d'un kimono richement orné

© Victoria and Albert Museum, Londres

Ce sont surtout les commerçants qui soutiennent la production de kimonos, car ce sont eux qui s’enrichissent le plus à l’époque Edo, grâce à la forte demande de biens et services.

Ils se tournent alors vers l’achat d’objets de luxe et se parent de kimonos resplendissants, aux motifs et aux couleurs coûteux, qui sont le meilleur moyen d’afficher leur richesse et leur bon goût.

Ils peuvent également faire confectionner leurs pièces par des artistes en vogue, qui apposent leur signature et leur sceau dans un coin du vêtement.

Chez les classes les plus pauvres, les kimonos sont bien moins luxueux : le coton y côtoie les motifs simples.

Pour les jours de cérémonies ordinaires, les kimonos se parent de dessins uniquement sous la taille, plus économique.

Pour les événements particulièrement importants, ils peuvent tout de même porter des kimonos plus travaillés en achetant des vêtements de seconde main au marché !

photo d'un kimono simplement orné

© Victoria and Albert Museum, Londres

Le kimono face aux lois somptuaires

En réaction aux dérives vestimentaires ostentatoires de certaines franges de la population, la famille Tokugawa – qui règne à l’ère Edo – édicte des lois dites “somptuaires”. Elles visent à limiter les extravagances et à rappeler les principes de représentation et de convenance de chaque classe sociale en imposant des règles d’habillement pour les samourai comme pour les roturiers. Ainsi, les femmes de samouraï sont soumises à des réglementations strictes et doivent respecter des codes vestimentaires extrêmement précis en fonction des saisons, des événements et même des heures de la journée. Les dépenses autorisées pour l’achat de vêtements sont limitées. Certains tissus, techniques et teintures sont interdits.

Ces décrets ont des conséquences directes sur l’habillement, notamment parce que les manières de contourner la règle se multiplient ! Ainsi la ceinture obi, qui n’est soumise à aucune restriction, s’élargit. L’usage de la teinture à main levée, qui permet de créer des motifs détaillés sans avoir recours à la broderie, elle-aussi restreinte, se développe.

estampe de femmes en kimono

© Victoria and Albert Museum, Londres

Le rouge, dont la teinture est chère, est également interdit par les lois somptuaires… mais cette restriction ne concerne ni les sous-vêtements, ni les doublures. Il devient alors coutume de le choisir pour ses vêtements de dessous, afin de le dévoiler délicatement par un vêtement relevé à l’ourlet ou en bordure de col. Paradoxalement, les lois somptuaires contribuent donc à l’essor d’une création artistique vestimentaire plus inspirée et fructifiante que jamais, et à l’émergence de tout un panel de nouveaux styles et techniques. Rien n’arrête la mode !

Si vous rêvez désormais d’arborer un kimono aux couleurs vives et aux motifs éclatants sans la moindre restriction, c’est votre jour de chance : vous pouvez retrouver un patron gratuit de kimono sur le site d’Artesane… Un bon moyen de connaître le kimono (vraiment) sur le bout des doigts !

Pour aller plus loin…

Exposition Kimono au Musée du Quai Branly, du 22 novembre 2022 au 28 mai 2023

Livre : Kimono, catalogue de l’exposition, sous la direction d’Anna Jackson. Éditions La Martinière, 2022.

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4 Commentaires

  1. excellent article….le kimono est la pièce la plus cousue dans mon dressing.
    j’ai hâte de voir l’exposition.
    Merci beaucoup pour ce partage.

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    • Merci beaucoup pour votre retour, j’espère que l’exposition vous plaira !

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  2. merci pour l’article très intéressent

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  3. c’est prodigieux ! ??

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