Après m’être replongée dans le style vestimentaire des années 1980 en visionnant pour la centième fois Les bronzés font du ski, je me suis demandée à quoi pouvaient ressembler les premiers vêtements de sport d’hiver. Je suis donc remontée à la fin du XIXe siècle pour mieux comprendre toutes les évolutions stylistiques et techniques du vêtement de ski. Vous avez de la chance : maintenant que je connais son histoire sur le bout des doigts, j’ai bien prévu de vous la raconter.
1) Des vêtements mondains pour un sport d’élite
Avant de devenir un sport d’hiver ludique, le ski était essentiellement utilisé comme moyen de déplacement chez les militaires en montagne et chez les Scandinaves. En effet, à la fin du XIXe siècle, les vacanciers ne se rendent en vacances à la montagne qu’en été : la saison touristique d’hiver, et les loisirs associés, n’existent pas encore. Ce n’est qu’au début des années 1900 que les bourgeois commencent à se retrouver dans les montagnes suisses et autrichiennes pour pratiquer des sports d’hiver… et organiser des soirées mondaines. Le ski est alors pratiqué par une population essentiellement masculine et urbaine : les montagnards, de leur côté, n’en font pas.
L’équipement des skieurs respecte donc les codes de l’élégance : on descend les pistes en cravate et en tweed, parfois même en tenue de chasse ou d’équitation – aucun vêtement spécifique n’a encore été créé. Comme pour la plupart des sports d’élite, les tenues sont donc caractérisées par le chic britannique.
2) Cachez ce pantalon que je ne saurais voir…
Si les femmes sont peu nombreuses sur les pistes au début du XXe siècle, celles qui skient conservent leurs vêtements urbains : jersey épais, jupe, longue veste ou manteau de fourrure. Cette tenue est particulièrement inconfortable et peu pratique car elle limite les mouvements. Sans compter la neige qui s’accroche aux plis des jupes, ce qui les rend lourdes et froides. Pour éviter ces désagréments sans heurter la pudeur et la morale, les femmes commencent à porter des pantalons bouffants recouverts d’une tunique descendant jusqu’aux genoux. Après plusieurs années de débats, la tunique finit par disparaître de la tenue de ski féminine dans les années 1920. Pour couvrir leurs jambes, elles ne portent plus que de larges pantalons resserrés sous le genou pour protéger de l’air et du froid. Ce changement de style coïncide avec la volonté de créer un vestiaire technique propre au ski suite aux Jeux Olympiques d’hiver de Chamonix en 1920, qui contribuent à promouvoir la pratique de ce sport, et au développement des liaisons ferroviaires avec les Alpes.
3) Années Folles, années norvégiennes
La station de Megève est créée en 1921 par la baronne Noémie de Rothschild. Elle y construit un hôtel de luxe et fait venir des moniteurs norvégiens, autrichiens et suisses pour sa riche clientèle. Ils apportent avec eux des techniques, des matériels et des tenues nouvelles. Les skieurs adoptent un pantalon bouffant resserré à la cheville, qu’on qualifie de “pantalon norvégien”, accompagnés de gros pulls en laine surmontés d’une élégante parka.
Les matières utilisées sont variées mais encore inadaptées et inconfortables : le cuir protège du vent mais garde l’humidité de la transpiration, la fourrure est chaude mais lourde, le jersey est souple mais absorbe et retient la neige lors des chutes… Pour les pantalons et les vestes, on privilégie donc le drap de bonneval, un tissu en laine cardée, résistant, chaud et imperméable.
4) 1930 ou la création des premiers vêtements techniques
Les années 1930 voient apparaître les premiers remonte-pentes : jusqu’ici, on remontait les pistes à pied. Cette nouvelle technologie permet de monter plus haut, ce qui ouvre de nouvelles opportunités et contribue à la sportivisation de la pratique du ski. Emile Allais, skieur de haut niveau, demande au tailleur Armand Allard d’imaginer un nouveau pantalon plus pratique que le pantalon norvégien : la largeur de ce dernier ralentit en effet les skieurs car sa prise au vent est trop élevée. Après plusieurs mois d’essais de coupes et de matières, Armand Allard crée le premier fuseau, un pantalon prêt du corps alors qualifié de “pantalon sauteur”. Emile Allais le porte lors des championnats du monde de ski alpin à Chamonix en 1937 : il y remporte trois médailles d’or qui contribueront à populariser ce nouveau vêtement.
Au même moment, une autre pièce technique fait son apparition : la doudoune, inspirée des vêtements rembourrés de duvet portés par les alpinistes dès les années 1920 pour lutter contre le froid. Créée par Eddie Bauer, propriétaire d’un magasin de vêtements de sport aux États-Unis, l’élaboration de cette veste s’appuie sur la technique du matelassage, qui permet d’apprivoiser le volume du duvet, et est renforcée de plumes d’oie ou de canard. Il fabrique quelques modèles pour ses amis et lui. Il faudra attendre quelques décennies pour que sa légèreté et sa haute capacité d’isolation thermique conquièrent le vestiaire sportif puis citadin, dans les années 1980.
5) Les avancées technologiques des Trente Glorieuses
Après la Seconde Guerre mondiale, chaque décennie donne naissance à de nouveaux matériaux qui révolutionnent le vêtement de ski.
Lors des Jeux Olympiques d’Oslo en 1952, l’italien Zeno Colò porte une veste en nylon, matière artificielle produite à partir de plastique qui a l’avantage d’être à la fois résistante, confortable et imperméable. Sa victoire comme champion olympique de descente, tout comme celle d’Emile Allais en 1937, transforme la veste en nylon en pièce incontournable du vestiaire des skieurs.
À partir de 1959, le lycra (à base de fibre élasthanne) vient intégrer d’autres tissus naturels – comme la laine – ou synthétiques – comme le nylon – pour leur ajouter de l’élasticité. Ce tout nouveau tissu peut en effet être étiré jusqu’à 8 fois sa taille initiale puis retrouver son état d’origine, ce qui ajoute une aisance non-négligeable aux vêtements de sport. Le lycra est également résistant à la chaleur et à l’exposition au soleil, contrairement au nylon qui peut se déformer en cas de longues expositions.
Enfin, les années 1970 donnent naissance au GORE-TEX, une membrane à la fois imperméable et respirante. Intégrée au vêtement, elle permet une grande protection contre l’eau et le vent, tout en évacuant la vapeur d’eau de la transpiration.
6) Les pistes arc-en-ciel des années 1980
Les années 1980 sont caractérisées par l’explosion des couleurs vives dans les stations. Alors que les vêtements de ski étaient jusqu’ici sombres et tristes, l’excentricité devient de mise avec des combinaisons aux couleurs fluo ou des vestes à épaulettes multicolores. Cette nouvelle palette a l’avantage de dénoter dans le paysage, donc de permettre de mieux repérer les skieurs en cas d’accident.
Depuis, les modifications des vêtements de ski touchent davantage à l’effet de mode qu’à de grandes révolutions technologiques ou stylistiques. Les tenues évoluent au gré des saisons et vont piocher dans les répertoires préexistants de couleurs, de formes et d’accessoires pour associer chaleur, confort et esthétisme.
Et vous, quelles sont vos coupes favorites sur les pistes ?
Pour aller plus loin…
Podcast France Culture : « Du pantalon bouffant à l’hégémonie de la doudoune : une histoire de la mode de sports d’hiver »
©Suzy Hazelwood sur Pexels
0 commentaires