En ce début d’année , je vous partage l’histoire – pas si fictionnelle – de deux candidates au CAP Métiers de la Mode – Vêtement Flou. De leur inscription à la formation en ligne d’Artesane jusqu’à l’annonce des résultats, suivez leur quotidien, leurs attentes, leurs fiertés et leurs moments de doute tout au long d’une année intense de préparation et de couture.
Julie – Jeudi 1er septembre, 18h28 : Sur la table abandonnée, surjeteuse et CAP…
Un dernier message, je pose mon téléphone, je range mes fournitures dans des petits pots colorés achetés pour l’occasion, puis je m’y mets. À la seconde où mon écran d’ordinateur s’allume, j’ouvre nerveusement une page internet pour me connecter à la plateforme de formation et découvrir mon tout premier cours vidéo de préparation au CAP. Depuis ce matin, mon humeur oscille entre une excitation euphorique et une peur tétanisante. Je fais un bond de 40 ans en arrière et je me sens comme une adolescente le jour de la rentrée, à cela près que j’ai plus peur d’une surjeteuse que de la nouvelle surveillante.
Lorsque j’ai commencé la couture il y a quelques années, je me voyais déjà arpenter les couloirs de mon bureau en me pavanant dans de superbes chemisiers cousus main, puis partir en vacances avec une valise remplie de robes entièrement imaginées par moi et pour moi… mais je n’ai jamais réussi à faire que des jupes droites inconfortables et des hauts mal coupés. Moi qui ai toujours eu une préférence pour les vêtements souples et finement travaillés, quel comble. Il faut dire que malgré toute ma bonne volonté et mon envie de coudre, je n’arrive jamais à créer plus d’un ou deux vêtements par an : mon travail et la gestion des tâches familiales quotidiennes accaparent mon temps et mon esprit.
Cette année, j’ai décidé de reprendre les choses en main : le fait d’être inscrite à l’examen du CAP en fin d’année va m’imposer un rythme de couture régulier, dont j’ai grandement besoin pour m’améliorer. Pour réussir, il me faudra au moins quinze heures de travail par semaine. Tout est déjà prévu : deux soirs par semaine, huit heures. Une matinée par week-end, cinq heures. Je travaillerai les contenus théoriques dans le métro ou entre midi et deux, ce qui devrait ajouter trois ou quatre heures de visionnage de vidéos. Cela me semble faisable ! Je n’ai plus qu’à finaliser mon dossier pour le financement CPF avant d’être débarrassée de toutes les formalités administratives et de pouvoir me lancer à cent pour cent dans la formation.
Première leçon : la jupe évasée Ambrosia. Je jette un œil méprisant sur la jupe droite que j’ai cousue l’hiver dernier et que je n’ai jamais portée. Celle que je m’apprête à confectionner est bien plus fine et élégante, avec un joli pli creux sur l’avant. Ce sera aussi l’occasion de surmonter ma crainte des fermetures éclair – je me débrouille habituellement pour les remplacer par des boutons – et d’apprendre à coudre un zip invisible. Je me sens prête. Il est temps de prendre ma revanche sur tous ces coupons de tissus gâchés !
Sarah – Mardi 15 novembre, 14h06 : CAP ou pas CAP ?
Jaune, vert ou bleu ? Vert, ça me portera chance. Je m’attache toujours les cheveux avant de commencer à coudre. J’ai volé ça à Violette, l’aînée des orphelins Baudelaire, mon film d’enfance préféré. J’étais fascinée par son génie créatif et je rêvais de devenir comme elle. Comme ses inventions étaient trop compliquées et que je n’y comprenais pas grand chose du haut de mes six ans, je me suis contentée d’imiter cette habitude de nouer ses cheveux avant de se mettre au travail, habitude qui ne m’a jamais quittée depuis. Elle me donne l’impression de recentrer mon esprit.
Ce sera donc l’élastique vert. Il sera un porte-bonheur bien utile pour commencer mon cursus guidé deux mois et demi après la rentrée officielle. Plus que de chance, je vais surtout avoir besoin d’organisation pour arriver au même niveau que les autres. Heureusement, j’ai eu l’équipe pédagogique au téléphone et elle m’a beaucoup rassurée : avec mes bonnes bases de couture et un peu de travail, je peux totalement être prête à passer un examen en juin. Et si je ne me sens pas prête, je pourrai toujours le passer l’année d’après !
J’ai bien rangé mon espace de travail : dans ma chambre, une grande table avec ma machine à coudre et ma surjeteuse sur la droite, et une zone de travail-montage sur la gauche : ciseaux, épingles, aiguilles à main, mètre ruban pour les coupes, l’épinglage et les petites coutures principalement. Et un pistolet bien sûr, ce petit instrument étrangement arrondi pour tracer des patrons. J’aurais aimé avoir deux espaces distincts, plus faciles à organiser, pour la couture et le montage, mais je n’ai vraiment pas réussi à trouver la place dans mon petit appartement étudiant.
Les leçons de ce premier mois tournent autour d’une jupe évasée, “Ambrosia”. Ce n’est pas vraiment mon style mais elle pourra sûrement plaire à ma grande sœur si je la raccourcis un peu. J’ai l’habitude de modifier mes patrons mais cette fois, pas question d’y aller au hasard : si je veux obtenir les finitions bien propres exigées à l’examen, je vais devoir contenir ma précipitation et suivre la leçon dédiée aux modifications de longueur d’une pièce. Je passe en revue les jupes que je me suis fait l’été dernier : ma jupe fendue qui m’a valu tant de compliments, ma mini jupe inspiration Courrèges et cette si jolie jupe à volants que j’ai portée pour la fête de la musique… Je lève deux doigts vers le haut pour me motiver à commencer : le V de la victoire !
Julie – Mercredi 28 novembre, 19h14 : À la recherche de la motivation perdue
Aiguilles, épingles, fil, 1, 2, 3, 4, 5, 6… Tout est là. Ma manie de compter mes objets revient toujours quand je suis stressée. C’est une manière de vérifier que tout se déroule comme il faut et que rien ne manque à l’appel, dans ma tête comme sur mon bureau.
J’en ai bien besoin pour me rassurer en cette fin de mois : la pression du travail m’a fait prendre du retard sur mes travaux de couture. Il est presque temps d’envoyer à ma professeure les photos du modèle du mois, la robe Eleanora, mais je suis toujours bloquée sur les manches. En me lançant dessus, je pensais avoir du mal sur le montage des différents types de fronces : heureusement, tout s’est bien passé et ma confiance en moi s’est un peu emballée. Me voilà deux jours plus tard, en train de découdre pour la deuxième fois les finitions avec passementerie, ces satanés rubans noués au bout des manches. Ils n’ont l’air de rien comme ça mais ils m’attendaient au tournant pour me rappeler que je ne m’en sors pas si bien que ça.
Une envie de tout envoyer valser me prend et je sens des larmes de rage commencer à monter. Je ne vais jamais y arriver. Je n’ai ni le niveau ni l’énergie pour tenir toute l’année à ce rythme. C’était un défi trop ambitieux.
Bien décidée à en finir, je m’assieds sur mon lit, pose mon ordinateur sur mes genoux et envoie un message à Cathy, mon enseignante, via la plateforme de formation. Je lui raconte mes difficultés à gérer de front le stress de mon travail, ma vie de famille et la préparation du CAP. Comme tous les ans, novembre a été un grand mois de remise en question et de baisse de motivation. Les manches d’Eleanora ont porté un coup fatal à ma dernière dose d’énergie.
Sa réponse ne tarde pas à arriver : elle me conseille de m’accorder une pause pour ce soir et me propose de m’aider sur les finitions de ma robe demain, à tête reposée. Ses mots sont rassurants : elle a l’habitude de recevoir des messages d’élèves au bord de la crise de nerfs, il faut bien que ça arrive une fois dans l’année ! Elle me rappelle surtout que la couture doit rester un loisir, d’autant plus que je passe mon CAP pour le plaisir. À la fin de notre échange, je me sens beaucoup plus détendue : il faut seulement que j’arrive à relativiser la pression que je me mets pour travailler dans la bonne humeur. Je pense à la superbe robe que j’ai cousue le mois dernier et à tous les vêtements que je vais pouvoir réaliser si j’arrive à bout de cette année. Plus question de baisser les bras.
Sarah – Lundi 2 janvier, 7h48 : Au bonheur des dames
Difficile d’ouvrir l’œil si tôt un surlendemain de Nouvel-An. Je jette un regard sur ma chambre dérangée : j’ai encore oublié de jeter mes chutes de tissus et mon gros chouchou jaune trône au centre de ma table. Allez, je saute dans mes pantoufles, j’avale mon petit-déjeuner et je file au travail ! Ou alors… quelques minutes de plus au lit et je saute le repas ?
Je serais plus motivée à me lever si c’était pour endosser le chapeau de couturière plutôt que celui de vendeuse…Heureusement que j’ai trouvé un poste dans un magasin de tissus : entre deux clients, j’imagine chaque étoffe prendre forme et je dessine mentalement une farandole de pantalons exubérants et de chemisiers années 70… Je passe ainsi les heures matinales qui me séparent de mon travail de couture à laisser aller mon imagination – ce qui m’a plusieurs fois emmenée vers la réalisation de pièces auxquelles je n’aurais peut-être jamais pensé. Dès que l’horloge indique 12h30, j’achète rapidement à manger et je rentre illico à la maison pour travailler mon CAP jusqu’au début de soirée.
En ce moment, je suis sur le thème de décembre : je perfectionne ma connaissance des pattes de boutonnage et je vais bientôt réaliser le premier col de l’année, avec à la clé la couture d’un chemisier. Ce sera l’occasion de retravailler le montage des manches, qui a toujours été mon point faible et sur lequel j’ai eu des difficultés le mois dernier. Je me fixe deux grosses semaines pour terminer ce module, ce qui me permettrait de commencer celui de janvier autour du 20 et d’être quasiment dans les temps. Je suis vraiment soulagée d’avancer à un si bon rythme : j’avais peur de devoir sacrifier ma vie sociale cette année pour me consacrer à un travail acharné. Finalement, avec un peu d’organisation, je m’en sors tout aussi bien qu’avant. J’enfile mes chaussures, mes lacets forment une jolie courbe qui me fait esquisser un sourire : le V de la victoire !
Julie – Mercredi 4 janvier, 18h02 : Ciseaux de lingère et kimono au basilic
1…2…3…4… crayon à papier, règle, pistolet, ciseaux… Ciseaux ? Je soulève mon papier à patron, je cherche derrière ma machine à coudre, j’examine minutieusement tout mon plan de travail : mes ciseaux ne sont nulle part. Je sors en furie de ma chambre et aperçois leur métal brillant sur la table de la cuisine. Sacrilège ! Je suis à deux doigts de priver de dessert celui qui a utilisé mes ciseaux de lingère pour couper le basilic. Je repositionne tous mes objets sur la table et j’aligne mes trois pots à crayons pour les placer à équidistance les uns des autres. Je n’en ai pas besoin ce soir, mais question de principe.
En début de mois, je préfère commencer par les leçons théoriques : “histoire de la mode” et “technologie, fibres et textiles”, qui se focalise chaque mois sur un tissu, son origine naturelle ou chimique, son poids… Je découvre avec passion tout un monde que je ne connais pas. Ce mois-ci, on parle soie, armure satin et crêpe, dans l’optique de coudre un haut habillé en fin de mois. Il ne va pas être évident : le col mandarin et l’avant croisé en biais m’effraient déjà. Mais il est très élégant et j’adorerais le porter pour mon anniversaire début février… il ne va pas falloir le rater.
Heureusement, je suis bien rodée. Je suis de plus en plus efficace dans mes révisions et je trouve facilement des moments pour faire du sport et passer du temps entre amis ou en famille. Je vais même pouvoir monter le basique à coudre du mois : un kimono assez proche de la pièce de fin de mois, légèrement moins complexe. J’ai du pain sur la planche !
Sarah – Mercredi 15 mars, 19h17 : Astrid et le mystère de la robe doublée
J’attrape l’élastique qui retient mon chignon et l’enlève impatiemment de mes cheveux. Je suis en surchauffe, j’ai besoin d’une pause. Aujourd’hui, je n’arrive rien à faire : j’avais cousu la doublure de ma robe et je me suis rendu compte que tout était bloqué au moment de la retourner. J’essaye désespérément de comprendre ce que j’ai raté mais impossible de trouver ce qui cloche. Il va falloir tout refaire.
Plutôt que de me laisser aller au désespoir, j’ouvre le forum et envoie un appel à l’aide aux autres élèves. Je ne sais pas si je cherche des conseils ou quelques mots d’encouragements. Je n’ai pas besoin de choisir : en cinq minutes à peine, je reçois des réponses de plusieurs d’entre eux m’expliquant la bonne marche à suivre pour coudre la doublure. Cette bienveillance me remonte immédiatement le moral et je me sens moins seule. Astrid, une jeune maman avec qui je m’entends bien, me propose même de l’appeler en vidéo pour que je lui montre ce qui bloque. Elle semble avoir compris ce qui ne va pas et m’explique comment le modifier sans perdre trop de temps. A la fin de notre appel, elle esquisse un clin d’œil et me lance d’un air entendu : “Allez, le V de la victoire !”.
Julie – Dimanche 4 juin, 8h25 : Veille de l’EP1
Depuis une semaine, j’ai arrêté de compter les objets de mon bureau pour ne compter plus que les jours. J-7, J-6, J-5, J-4, J-3, J-2… Et me voilà déjà J-1. J’ai eu du mal à fermer l’œil cette nuit : je repensais aux leçons de l’année et j’avais la sensation d’avoir tout oublié, comme à chaque fois avant un examen.
Ma convocation à la première épreuve, “Analyse et exploitation des données esthétiques et techniques”, me toise depuis mon bureau. Je m’étais résolue à ne pas travailler aujourd’hui. Pourtant, je ne résiste pas à la tentation de jeter un œil sur mes fiches d’histoire et de techniques, avant de relire rapidement les conseils du livre de Christine Charles sur la gestion du temps lors de l’examen. Je regarde fièrement ma dizaine de créations de l’année. Je me sens enfin prête pour ces trois premières heures d’épreuve.
Sarah – Mardi 6 juin, 7h59 : EP2, jour 1
Mon chouchou rose vacille au bout de mes doigts tremblants tandis que j’attends la fin de la distribution des sujets. J’y suis, c’est le premier jour de l’EP2, la redoutable épreuve de “Mise en œuvre de la fabrication de tout ou partie d’un vêtement”. Je retourne la feuille d’épreuve, objet d’étude : le short à pinces. Je réunis mes cheveux en queue-de-cheval et faufile mon élastique autour. Lecture de la gamme de montage, découpes, modifications du patron, je n’ai qu’à faire comme à la maison.
Je prends une grande inspiration en pensant au logo rond que j’ai dessiné pour ma marque : Sarafistole, un clin d’œil aux chutes de tissus à partir desquelles je compte coudre mes vêtements. Comme un porte-bonheur, j’entrouvre les lames de mes ciseaux sur la table et leur fais dessiner le V de la victoire.
Julie et Sarah – Mercredi 12 juillet, 12h00 : le V de la victoire !
C’est l’heure. Je valide en tremblant mon identifiant pour me connecter. Lorsque l’écran s’affiche, je manque de hurler de joie. J’ai réussi mon pari : j’ai passé mon CAP.
À bientôt chez Artesane !
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