Auparavant grande consommatrice de vêtements de première main, j’ai commencé à questionner mes habitudes d’achats lorsque j’ai découvert que l’industrie vestimentaire était la deuxième industrie la plus polluante du monde. Plus je m’informais sur le sujet, plus je voulais modifier ma manière de m’habiller. Il y a quelques années, j’ai donc fait le choix de ne plus acheter que des vêtements de seconde main. Et j’en ai acheté. Beaucoup. Jusqu’à ce que je remette en question la surconsommation que généraient mes achats (souvent) inutiles.
Aujourd’hui, je vous propose donc de réfléchir aux enjeux qui se cachent derrière l’achat de vêtements de seconde main, de ses points positifs à ses effets pervers.
La consommation vestimentaire en quelques chiffres
Avec une empreinte carbone estimée à 1,2 milliards de tonnes de CO2 chaque année, l’industrie vestimentaire, qui réunit l’ensemble des activités économiques liées à la conception, fabrication et commercialisation de vêtements, chaussures et accessoires de mode, est l’une des plus polluantes au monde : elle représente entre 2 et 3% des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Cette part pourrait s’élever à 26% en 2050 si les tendances actuelles de production et d’achat se poursuivent : aujourd’hui, plus de 80 milliards de vêtements sont mis sur le marché chaque année, soit cinq fois plus qu’il y a 20 ans.
L’impact environnemental de la mode est lié à de nombreux facteurs. Citons-en quelques uns :
- La croissance exponentielle de la quantité de ressources naturelles nécessaires à la production vestimentaire, qui ne peut être soutenue que par l’utilisation d’engrais et de pesticides qui menacent la biodiversité. Par ailleurs, la culture intensive de certaines matières premières, le coton notamment, nécessite une grande quantité d’eau : on estime qu’il faut environ 7500 litres d’eau pour produire un jeans. C’est l’équivalent de 50 baignoires remplies. Dans certaines régions de production, en Chine et en Inde par exemple, les stocks des cours d’eau et des nappes phréatiques sont détournés pour alimenter la production agricole, malgré le manque d’accès de la population à l’eau potable.
- L’utilisation de teintures chimiques, responsables de 20% de la pollution des eaux dans le monde.
- La délocalisation massive des centres de production, qui démultiplie l’impact lié au transport : ainsi, un jeans parcourt en moyenne 65 000 kilomètres entre le début de sa production et sa livraison.
Mais cela ne s’arrête pas là : une fois le vêtement acheté, chaque lavage est source d’une nouvelle pollution de l’environnement. En effet, les matières synthétiques (comme le polyester) rejettent des microparticules de plastique dans l’eau, trop petites pour être filtrées par les stations d’épuration. Elles se déposent donc dans les rivières, les mers et les océans : 500 000 tonnes de microplastiques sont relâchées dans les cours d’eau chaque année… ce qui correspond à 50 milliards de bouteilles en plastique.
L’éveil des consciences et l’essor de la seconde main
Face à ces chiffres alarmants, un éveil des consciences semble avoir lieu depuis quelques années et les consommateurs sont de plus en plus préoccupés par l’impact de leurs achats : en 2021, 79% des Français se disaient favorables à la mise en place d’un label indiquant le score écologique de chaque vêtement, inspiré du nutriscore. Les différents acteurs de la mode, prenant toute la mesure de cette nouvelle exigence des consommateurs, cherchent progressivement à s’adapter. La multiplication des marques responsables sur le marché vestimentaire est d’ailleurs la preuve que les habitudes de production et de consommation commencent à se modifier.
Mais la tendance majeure de la mode durable reste la seconde main et l’achat de vêtements “vintage” (de plus de 20 ans). Longtemps boudée par les personnes aisées, car symboliquement associée à l’aveu d’une certaine précarité économique, sa popularité auprès d’un nombre grandissant de Français est aujourd’hui indéniable. Au-delà de la dimension écologique, les consommateurs y trouvent de nombreux avantages, parmi lesquels des prix attractifs et l’envie de porter des pièces originales et uniques. Ainsi, en 2018, 31% des français avaient déjà acheté un vêtement de seconde main en 2018, contre 15% dix ans auparavant. Cette même année, le marché de la seconde main – tous secteurs confondus – avait atteint le milliard d’euros de chiffre d’affaires pour la première fois en France. Il est aujourd’hui estimé à 7 milliards d’euros, dont 1,16 milliard pour le secteur textile.
La diversification des points de vente de seconde main
Pour répondre à cette demande croissante, le marché de la seconde main s’est étoffé et diversifié, de sorte qu’il existe aujourd’hui une multiplicité de réseaux :
– boutiques associatives
– dépôts-vente
– destocks
– magasins spécialisés
– comptes Instagram
– applications de vente et d’achat en ligne…
Par ailleurs, la seconde main s’est décloisonnée pour intégrer des espaces historiquement réservés au neuf. Une surface dédiée aux marques de seconde main a ainsi vu le jour aux Galeries Lafayettes, tandis que le Bon Marché a accueilli un pop-up Vestiaire Collective – une application dédiée au vêtement d’occasion haut-de-gamme.
Première et seconde main commencent donc à se côtoyer, ce qui contribue à la fois à augmenter la visibilité de cette dernière, mais également à la normaliser. Ces différentes dynamiques laissent à penser que le secteur de la seconde main devrait continuer à prendre de l’ampleur dans les années à venir, avec une augmentation prévisionnelle de 15 à 20%.
Limites et effets pervers de la seconde main
Il est indéniable que l’achat d’un vêtement de seconde main est plus écologique que celui d’un vêtement de première main, puisqu’en allongeant la durée de vie d’un vêtement, on limite nécessairement son impact sur l’environnement. Cependant, il serait incomplet de lister les avantages d’une consommation de vêtements de seconde main sans en évoquer les limites. Car oui, malheureusement, il y en a !
Tout d’abord, les études constatent que l’essor de la seconde main ne se fait pas au dépend de celui de la première main. Pire : si la seconde main a connu une forte croissance ces dernières années, elle est loin de prendre le pas sur la fast fashion, dont la croissance a été encore plus importante.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce phénomène. Le greenwashing en est un : de nombreuses enseignes de fast fashion profitent de la popularité des enjeux écologiques pour capitaliser dessus en créant des collections “écoresponsables”, à partir de tissus recyclés par exemple. Ils captent ainsi une manne de personnes sensibles à la question environnementale qui, au lieu de se tourner vers des marques réellement éthiques ou de la seconde main, se laissent convaincre par ces campagnes de communication. Certaines marques ont également mis en place des bacs de recyclage de leurs anciens vêtements : il suffit de rapporter un vieux vêtement de la marque en question pour bénéficier d’un bon d’achat sur le magasin… Sous couvert de recyclage, elles incitent ainsi à une consommation toujours plus effrénée de nouveaux produits.
Ce qui nous emmène directement au second grand enjeu du marché de la seconde main : la surconsommation. En effet, avec ses prix attractifs, la seconde main peut créer chez certains consommateurs des comportements d’achat compulsifs comparables à ceux de la fast fashion, voire plus importants car ils s’associent à une déculpabilisation et à la sensation qu’il s’agit d’un acte écologique. Or, rappelons quelques chiffres : en 2020, 2,4 milliards d’habits et de chaussures ont été mis sur le marché en France. Si l’ensemble de ces pièces étaient vendues, les Français auraient à leur disposition 29 nouveaux vêtements et trois nouvelles paires de chaussures par an : un chiffre démesurément élevé, d’autant plus que les deux tiers de la garde-robe des Français n’ont pas été portés dans les douze derniers mois.
Bien sûr, l’achat de nombreux vêtements de seconde main n’est pas comparable – en termes de dommages environnementaux – à celui de nombreux vêtements de fast fashion. Cependant, il entretient des mécanismes de surconsommation nocifs (pour nous comme pour la planète) imposés par la fast fashion, qui nous incite à croire que nous avons constamment besoin de nouveaux produits, de nouvelles couleurs, de nouvelles coupes, de nouvelles matières pour remplir notre garde-robe.
Une fois une nouvelle pile de vêtements achetée, notre placard est plein à craquer et il faut alors se débarrasser de nos vieux vêtements pour laisser de la place à nos nouveaux achats (de seconde main ou non)… ce qui nous emmène directement à un autre grand enjeu : le traitement et le recyclage des déchets vestimentaires. Rien qu’en France, les particuliers se débarrassent chaque année de 230 000 tonnes de textiles usagés, notamment par le biais des bornes textiles présentes dans les rues. Sur l’ensemble de ces vêtements, seuls 5% sont réemployés en France, soit en étant donnés à des personnes dans le besoin, soit en étant revendus dans des magasins de seconde main.
Le reste, une fois trié, est exporté dans des pays étrangers – notamment en Afrique – en vue d’être recyclés ou réutilisés. Mais la réalité est toute autre : les quantités de vêtements sont telles que les pays n’ont ni les infrastructures, ni les capacités économiques et salariales de les traiter. Ainsi, le Ghana reçoit 15 millions de vêtements par semaine… pour une population de 30 millions de personnes. Nos vêtements restent donc dans la nature et se retrouvent dans des décharges à ciel ouvert.
La seconde main : vers une consommation plus raisonnée ?
Alors oui, la seconde main, c’est bien – en tout cas, mieux que la première main. Mais la consommation de seconde main perd une grande partie de son intérêt écologique si elle n’est pas mesurée et si elle se traduit par une surconsommation et des achats compulsifs de vêtements. De mon côté, j’essaie toujours de garder en tête la fameuse méthode BISOU :
- B comme Besoin : ai-je vraiment besoin de ce vêtement ?
- I comme Immédiateté : est-ce indispensable d’acheter maintenant ?
- S comme Similarité : ai-je déjà un vêtement semblable ?
- O comme Origine : quelle est l’origine de ce produit ?
- U comme Utilité : cet achat est-il vraiment utile pour moi ?
Finalement, avant d’acheter de nouveaux vêtements, pourquoi ne pas essayer de faire quelque chose de ces deux tiers de votre penderie que vous ne portez pas ? Il existe mille et une manières d’upcycler vos vieux vêtements et tissus, qu’ils soient délavés, troués, mal coupés ou tout simplement plus à votre goût… Couture, broderie, teinture, je vous ai sélectionné quelques cours Artesane qui pourraient grandement vous aider à trouver de l’inspiration et à découvrir toutes les techniques dont vous aurez besoin pour donner une seconde vie à votre garde-robe :
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