À l’occasion de la sortie du cours Apprenez à coudre une chemise sur Artesane, j’ai voulu me pencher sur cette pièce incontournable et plus particulièrement sur l’histoire du col de chemise. Du col lavallière au col détachable, je vous emmène découvrir ses évolutions stylistiques du Moyen Âge à nos jours.
Les journées raccourcissent, le temps se fait plus doux et les supermarchés se remplissent de parents à la recherche désespérée d’un cahier 24×32, petits carreaux, 92 pages, interligne 6, qui n’existe pas mais que le professeur de maths exige… Oui, c’est déjà la rentrée !
Les mauvaises habitudes n’ont pas mis longtemps à revenir : en ce premier jour de septembre, je suis déjà en retard pour ma journée de cours. Je saute dans ma jupe bordeaux, je me faufile dans une chemise légère en lin blanc et je cours vers le métro. La ligne est ralentie, ce n’est vraiment pas mon jour de chance… Un sprint et quelques bousculades plus tard, j’arrive devant la salle essoufflée mais satisfaite : il est 9h01, mes camarades finissent à peine de s’installer.
Après d’interminables heures de présentation des lectures et des examens à venir, je n’ai qu’une seule chose en tête : retrouver mes copains pour un grand verre en terrasse. J’ai tout juste assez de temps pour passer prendre une douche chez moi et j’en profite pour me changer. Pour ce soir, je choisis encore une chemise, en soie verte cette fois, que je laisse flotter librement au-dessus d’un jeans pour plus de nonchalance.
J’en suis convaincue depuis longtemps : la chemise est la pièce incontournable pour réadapter ses tenues aux contraintes d’un agenda trop chargé. C’est pourquoi Artesane vous propose de souffler un peu et de ressortir votre machine à coudre pour suivre le nouveau cours Apprenez à coudre une chemise, tout juste disponible sur le site. Il vous permettra de confectionner une pièce aux finitions précises : modification du patron, assemblage des pièces, réalisation d’une boutonnière… Vous pourrez également découvrir la finesse de la patte capucin et la légèreté de la fente indéchirable !
Au fait, c’est quoi exactement une chemise ?
Les variations de la chemise au fil du temps et des modes la rendraient presque difficile à définir. Avant de mieux découvrir son histoire, revenons-en aux bases : la chemise est un haut couvrant le torse et les bras, dont l’avant est composé de deux parties qui s’attachent par divers moyens comme des boutons ou des pressions.
Au gré des envies, elle peut s’ajuster ou s’élargir, se parer d’une poche sur la poitrine, de manches courtes ou trois-quarts… Parmi tous ces détails, quelque chose me fascine particulièrement : le col. Petite pièce de tissu cousue au bord de l’encolure et entourant le cou et/ou le décolleté, il peut être américain, lavallière, claudine, officier, pelle à tarte, rond, godronné, à pointe, ruché… Le col de chemise rivalise d’inventivité et n’a de cesse de se réinventer. Son histoire est étroitement liée à celle de la société, notamment aux questions d’hygiène, de représentation et de classe sociale.
Le col, grand absent des premières chemises
Drôle de façon de commencer un article sur le col que d’évoquer une période où il n’existait pas… Pourtant, si les modifications des cols au fil du temps sont historiquement significatives, son absence initiale l’est également : elle permet d’introduire le lien intime entre la chemise et la question de l’hygiène.
Au Moyen Âge, on suspecte l’eau courante d’être porteuse de maladies. Il faut donc minimiser les contacts entre la peau et ce dangereux liquide, en évitant au maximum de se baigner.
Par ailleurs, les vêtements d’extérieur sont précieux car ils coûtent cher. Ils sont donc conçus pour être résistants à des conditions météorologiques et des utilisations variées, afin de limiter leur usure : les plus modestes portent des vêtements en chanvre, les plus nobles en soie. La difficulté voire l’impossibilité d’alterner avec d’autres vêtements, la volonté de conserver les étoffes et la peur de perdre la flamboyance des couleurs limitent la fréquence des lavages.
Cette impossibilité de nettoyer les corps et les vêtements de manière ponctuelle impose la nécessité d’introduire une troisième épaisseur, la chemise, qui fait office de sous-vêtement. Pièce très simple – une toile avec un trou pour faire passer la tête -, la chemise est conçue dans des matières faciles d’entretien comme le coton ou le lin, qui supportent des lavages à l’eau bouillie. Elle protège ainsi les vêtements du dessus de la saleté des individus… mais est également censée “laver” le corps par contact. L’absence de col révèle la nécessité de rendre la chemise invisible pour ne pas choquer les mœurs en dévoilant ses sous-vêtements.
Renaissance, blancheur et extravagance
À partir de la Renaissance, et plus précisément du début du XVIe siècle, la chemise se dévoile petit à petit pour devenir un vêtement en lui-même. Elle n’est plus objet de tabous et peut désormais être portée de manière visible. Elle devient plus sophistiquée, notamment au sein de la noblesse où elle se pare de matières nobles et de détails travaillés… en particulier les cols, qui rivalisent d’extravagance. Ils deviennent un véritable phénomène de mode à la Cour de France où ils n’auront de cesse de s’agrandir et de se surélever. Révélateurs du degré de noblesse et de la richesse de son porteur, ils sont un symbole de luxe (il s’agit de tissu “inutile” et cher), d’oisiveté (pas évident de travailler avec un col de la largeur des épaules !) et de raffinement (souvent sertis de fine dentelle).
Cette mode exubérante atteint son apogée avec l’invention de la fraise, un col composé de collerettes superposées formant des plis serrés et réguliers entourant complètement le cou, à la fin du XVIe siècle. Très en vogue sous le règne d’Henri IV, les fraises sont tellement imposantes qu’elles se détachent du reste de la chemise pour devenir une pièce à part entière. Les autorités devront même publier des édits somptuaires pour limiter les excès en imposant une taille maximale de fraise en fonction du rang à la Cour.
Maintenant que la chemise est visible, la blancheur du vêtement devient capitale : pour conserver un vêtement parfaitement blanc, il faut avoir les moyens d’embaucher des domestiques ou d’acheter régulièrement des vêtements neufs. Le col et les manches, principales parties visibles du vêtement, sont régulièrement bouillies pour préserver leur pureté immaculée. La chemise blanche est née.
Sous Louis XIV, l’extravagance des cols est progressivement remplacée par des cravates, qui ne ressemblent en rien aux cravates que l’on connaît aujourd’hui mais sont, comme elles, des pièces de tissu nouées autour du col pour ornementer un décolleté. Les cravates les plus en vogue à la fin du XVIIe siècle sont le jabot, porté par les hommes, et la lavallière, son équivalent féminin inventé par la favorite du roi dans les années 1660… dont les noms vous évoquent sûrement des cols de chemises encore utilisés aujourd’hui !
Le col simple à rabat devient quant à lui réservé aux vêtements de fonction des ministres, hommes de loi et hommes d’église.
La société des cols détachables
À l’issue de la Révolution Française, la chemise de travail se stabilise autour de cols pointus rabattus, proches de ceux que nous connaissons aujourd’hui. C’est ce type de col qui a été choisi pour la chemise du cours vidéo Apprenez à coudre une chemise sur Artesane.
Cette stabilisation des cols de chemise autour d’une forme bien précise permet l’invention d’un nouvel accessoire : le col amovible, encore et toujours lié à la question de la propreté et de l’hygiène. Le col étant particulièrement exposé aux tâches, de nourriture comme de travail, l’objectif est de faciliter la vie des travailleurs en leur permettant de détacher leur col pour le laver régulièrement. Moins cher que l’achat d’une chemise entière, c’est une solution relativement économique.
Ces cols amovibles sont souvent traités à l’amidon pour que leur forme reste stable : on dit que le col est empesé. Aujourd’hui, il est possible d’utiliser des fournitures, notamment des bandes thermocollantes, pour rigidifier le col mais également d’autres zones stratégiques d’un vêtement, comme la ceinture.
Le col détachable perdure jusque dans les années 1960 avant d’être évincé par l’invention du lave-linge, qui banalise les cols fixes à même le vêtement (désormais lavable entièrement à moindre coût), et par l’arrivée du prêt-à-porter, qui entraîne une forte baisse des prix et favorise le remplacement régulier de ses vêtements défraîchis ou abîmés.
À l’issue de cette thèse quasi-exhaustive sur le col de chemise, vous devriez avoir un niveau d’expert en histoire de la mode (mais si, ne soyez pas modestes). Si vous souhaitez connaître la chemise sur le bout des doigts, il ne vous reste qu’à jeter un œil sur le cours de Carmen, qui vous fera passer de l’autre côté du miroir pour découvrir tous les secrets techniques de cette pièce !
À bientôt chez Artesane !
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