6 choses que vous ne saviez (sûrement) pas sur la dentelle au fuseau

par | 30 Sep 2022 | Histoire de la mode | 3 commentaires

     Un voile de mariée, une manche de chemisier, un dessus de lit vintage… Nous avons toutes et tous un souvenir qui nous vient en tête à l’évocation de la dentelle. Mais savez-vous comment elle est réalisée ? Pour tout vous dire, je n’en avais aucune idée avant de me pencher sur l’écriture de cet article. Et pourtant, les techniques ne manquent pas : j’ai erré longtemps au cours de mes recherches entre la dentelle à l’aiguille, à la main, au crochet, au point coupé ou encore au fuseau. C’est sur cette dernière méthode que Marie Gonsolin-Capelle se penche dans son dernier cours d’initiation à la dentelle au fuseau disponible sur Artesane. Ma curiosité et moi sommes donc allées nous renseigner sur le sujet et je n’ai pas pu résister longtemps à l’envie de vous partager tous les secrets de cet art ancestral particulièrement intriguant.

1) La dentelle au fuseau n’a rien à voir avec la Belle au bois dormant

     La dentelle au fuseau est une technique qui permet de tisser des pièces variées comme des mouchoirs, des napperons ou des petites pièces ornementales pour des vêtements (cols, manchettes, ourlet…). Comment ? À l’aide de fuseaux, vous l’auriez deviné. Loin du long fuseau pointu sur lequel la Belle au bois dormant se pique le bout du doigt, le fuseau utilisé en broderie est un petit bâton de bois d’une dizaine de centimètres de long, traditionnellement en forme de quille (même si sa forme peut varier en fonction des pays). Il est composé d’une “tête” – un renfoncement autour duquel on enroule le bout du fil -, d’une tige sur laquelle le reste du fil est stocké, et d’une poignée bombée – la fameuse forme de quille – qui permet d’attraper le fuseau pour le déplacer sur le plan de travail afin de le croiser avec d’autres fuseaux.

photo de fuseaux de dentelle

     Concrètement, la technique qui se cache derrière cet instrument étrange est la suivante : pour commencer, un dessin cartonné de l’ornement à reproduire est placé au centre de la table : il sera la base du travail. On place sur le dessin des piqûres, c’est-à-dire qu’on perfore légèrement le carton, ce qui permet de délimiter les motifs. On enfile ensuite une épingle au niveau de chaque piqûre, avant d’accrocher autour de chacune d’entre elles une paire de fuseaux reliés par un fil (ou plus, selon le nombre de fuseaux nécessaires pour le dessin). Il n’y a plus qu’à entrecroiser les différents fuseaux selon des règles bien précises pour enrouler les fils et former les motifs. Une fois l’ouvrage terminé, il convient d’enlever toutes les épingles du carton et de le retourner pour laisser apparaître la dentelle.

     Pour mieux visualiser cette méthode, vous pouvez jeter un œil à la bande-annonce du cours de Marie Gonsolin-Capelle, ce qui vous permettra d’apercevoir certains gestes clés (et c’est assez fascinant). En tout cas pas de panique, la dentelle au fuseau n’est pas une activité dangereuse : aucun risque de vous piquer le bout du doigt et de vous endormir pour les cent prochaines années !

photo d'un plan de travail de dentelle au fuseau

2) Pas besoin d’être millionnaire pour faire de la dentelle au fuseau

     Vous avez pu constater que la dentelle au fuseau ne demande que très peu d’équipements. La clé de la réussite : être précis, méticuleux et s’armer de patience. Si cet art vous intrigue, je vous ai même déjà dressé une liste simple et exhaustive du matériel nécessaire :

  • Un carreau (fabriquable soi-même), qui sera votre table de travail : il s’agit d’un support en polystyrène recouvert de feutrine et de tissu épais. Il est nécessaire pour planter les épingles.
  • Un dessin de piquage, qui donne l’emplacement des épingles, le trajet des fils et montre le contour des formes obtenues grâce aux différents points.
  • Une quarantaine de fuseaux, afin d’en avoir à disposition et de ne pas avoir à changer les fils de chaque fuseau au fur et à mesure d’un ouvrage.
  • Des fils de tailles et de couleurs variables. Tous les fils peuvent être utilisés mais certains sont plus faciles pour commencer : le lin est le plus facile à travailler pour les débutants et assure une belle tenue du travail ; le coton est facile également, mais plus souple donc moins bien tenu ; la soie est plus chère et plus fragile mais son rendu est très beau… Vous pouvez même utiliser du fil métallique, notamment pour réaliser des bijoux.
  • Une boîte d’épingles
  • Du carton fin à placer en-dessous du dessin de piquage
  • Un crochet, pour finir un ouvrage ou insérer des perles
  • Une paire de ciseaux

     Plus accessible et moins onéreuse que la couture ou le tricot, la dentelle au fuseau serait-elle finalement l’alliée parfaite des longues soirées d’hiver ?

photo d'un col en dentelle

3) La première dentellière de votre famille a probablement fêté ses 500 ans

     Au début du XVIe siècle, la noblesse des royaumes européens se pare de vêtements de plus en plus luxueux et travaillés. Les tailleurs partent donc à la recherche de nouvelles techniques, cherchant notamment à décorer les bords des vêtements.

     Le lieu et la date exacte de la création de la dentelle sont malheureusement inconnus, faute de documentation. Cependant, les archives dont disposent les historiens permettent de dater son apparition au début du XVIe siècle, probablement dans la région de Venise, en Italie. Elle se développe ensuite rapidement en Flandres, dans l’ensemble de l’Europe puis sur les continents américain et océanien. Initialement réservée aux hommes, elle conquiert le vestiaire féminin à partir du XVIIe siècle : sous Louis XIII, les collets et les revers de manche des nobles sont tous ourlés de dentelle aux motifs en pointe. D’autres points moins onéreux sont également utilisés pour garnir le linge de maison et la lingerie. La dentelle devient par la suite une mode exclusivement féminine sous Napoléon.

     Ce nouveau type de tissu est tout d’abord qualifié de “passementerie” : il s’agit d’un terme générique qui qualifie les petits ouvrages en fil destinés à la décoration vestimentaire ou intérieure. Le mot “dentelle” apparaît un peu plus tard, au milieu du XVIe siècle : il fait référence aux motifs présents en bordure d’ouvrages, semblables à de petites dents.

photo de différents types de dentelles

4) La dentelle au fuseau a poussé Louis XIV à boycotter ses voisins

     Au milieu du règne de Louis XIV, la dentelle a le vent en poupe : les vêtements de la noblesse et du clergé en sont couverts. Celles-ci sont souvent importées de Venise ou de Flandres, centres majeurs de production réputés pour la finesse de leur dentelle et leur qualité.

    Face à une demande grandissante, les dentelliers mettent au point de nouvelles techniques pour passer d’une production domestique – en petites quantités – à une production industrielle – à plus grande échelle. Cela entraîne la création de Manufactures royales de dentelles en 1665, à l’initiative de Colbert, contrôleur général des finances du roi. Il fait venir des dentellières vénitiennes et flamandes pour garantir la qualité de la production et imiter ses voisins. Pour remplir son objectif de limiter l’achat de produits étrangers, il ira même jusqu’à interdire l’importation de toute dentelle étrangère.

     Les grandes manufactures de Colbert s’implantent à Arras, à Sedan, à Aurillac, à Reims et à Alençon pendant près de dix ans. À l’époque, la dentelle au fuseau réunit au total 20 000 dentellières en Normandie, 40 000 dans le Nord et plus de 100 000 en Auvergne. Chaque région tend à développer ses spécificités en termes de techniques et de motifs, de sorte que la dentelle prend régulièrement le nom de sa ville de fabrication. On parle par exemple de dentelle de Bayeux ou d’Alençon, dont la manufacture sera d’ailleurs la seule à survivre après 1675. La dentelle française connaît ainsi une renommée internationale pour sa qualité et son originalité.

photo de dentelles et de fuseaux

5) Et le XXe siècle… créa le CAP Arts de la dentelle option Fuseaux

     La mécanisation et les guerres qui secouent l’Europe au XXe siècle ralentissent la production de dentelle. Après la Seconde Guerre Mondiale, la dentelle au fuseau disparaît pendant quelques décennies au profit de la dentelle mécanique, moins coûteuse. Elle réapparaît à la fin du siècle grâce à la création d’un Centre d’enseignement de la dentelle au fuseau au Puy-en-Velay… puis d’un CAP “Arts de la dentelle” option fuseaux en 1978.

     Cette formation sur deux ans propose aussi bien des cours théoriques que pratiques : histoire de la dentelle, connaissance des fibres textiles, réalisation d’une dentelle, dessin, analyse d’une situation professionnelle… Ce large panel de compétences permet d’introduire l’ensemble de la chaîne de production aux étudiants, du choix des fuseaux, du fil et du métier, au positionnement et à la couture de la dentelle sur son support, en passant par la compréhension des attentes de sa hiérarchie et de son client.

    L’objectif est de professionnaliser les étudiants pour leur permettre d’intégrer directement le marché du travail s’ils le souhaitent : de nombreux débouchés existent dans le milieu de la mode, de la décoration et du luxe, mais également dans le milieu de la conservation du patrimoine – à la restauration d’ouvrages anciens notamment. Il est également possible de poursuivre ses études à la suite du CAP avec un Bac Pro ou un Brevet de Métiers d’Arts (BMA) Dentelle options Fuseaux et Aiguilles.

photo d'une manche en dentelle et de fuseaux

6) La dentelle au fuseau a pris du galon grâce à l’UNESCO et à la Slovénie

     L’UNESCO – l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture – a créé en 2003 la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Son objectif est de promouvoir et sauvegarder des pratiques culturelles internationales, aussi diverses que variées (plus de 500 !), qui risqueraient potentiellement de disparaître. Parmi elles, certaines vous seront sûrement familières : le yoga en Inde, l’art traditionnel de la pizza napolitaine, la fabrication des orgues en Allemagne, l’alpinisme, l’écriture arménienne, les calligraphies arabes et chinoises, ou encore la culture du sauna en Finlande. Et bien sûr, la dentelle au fuseau de Slovénie, inscrite sur la liste depuis le 29 novembre 2018 !

     Leur technique de dentelle au fuseau diffère légèrement de celle que je vous ai expliquée plus haut : les slovènes n’accrochent pas leur dessin à un carreau mais à un coussin cylindrique incliné à 45° et déposé dans un panier en osier. Quelque cent-vingt sociétés et groupes de dentellerie au fuseau existent dans l’ensemble du pays. Elles font perdurer des modèles et techniques caractéristiques de chaque région slovène. La transmission des savoir-faire se fait majoritairement des grands-mères aux petits-enfants, mais également au sein des communautés de voisinage où les dentellières s’échangent leurs techniques… Avez-vous réservé votre billet d’avion pour la Slovénie ?

     Si vous rêvez de pratiquer une activité classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, il ne vous reste plus qu’à suivre le cours de Marie Gonsolin-Capelle, dont les conseils vous seront aussi précieux que ceux des dentellières de Slovénie…

     À bientôt chez Artesane !

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3 Commentaires

  1. Magnifique et très complet sur le sujet, une petite précision pour les puristes ?, on pique l’épingle après avoir croisé les fuseaux (au lieu de piquer l’épingle et d’enrouler les fils autour) ce qui est beaucoup plus facile. Un grand bravo pour cet article ! Je me réjouis de vous retrouver dans ce cours où j’ai mis tout mon cœur pour rendre accessible une technique si belle et qui fait si peur parfois !

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  2. Bonjour,
    Je viens de découvrir votre site et pris connaissance de vos articles.
    Celui sur la dentelle au fuseau est très intéressant et me fait très plaisir. En effet je pratique cette technique depuis 4 à 5 ans, en Auvergne, où se trouve le Centre d’Enseignement de la dentelle Au Fuseau au Puy en Velay. Des cours sur place ou par correspondance y sont prodigués. Il y a aussi plusieurs associations sur la région Auvergne, et autres départements, qui transmettent cet enseignement. Des rencontres de dentellières s’organisent qui permettent d’échanger et de découvrir les réalisations de chacune. Ces rencontres se nomment Couvige. En effet la dentelle au fuseau requière de la patience, de la minutie, et même un ouvrage avec peu de fuseaux est une « ode » au temps qui s’écoule sans « se dépêcher ». Tous les 2 ans un Couvige international se tient dans un pays différent.
    Je ne manquerai pas de m’informer sur Marie Gonsolin Capelle afin de découvrir ses créations dentellières.
    Je vous remercie par avance du temps que vous pris pour me lire.
    Bien cordialement,
    Marie-Claude BAQUET VILLATTE
    PS: je viens de vous commander le gilet sans manches en couture

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    • Bonjour,
      Merci pour votre retour, nous sommes ravies que nos articles vous plaisent et espérons que les créations de Marie Gonsolin Capelle seront une belle source d’inspiration pour vos propres travaux en dentelle…
      Bonne journée et bonne couture du gilet Alix !

      Réponse

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